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Ces photos illustrent les résultats essentiels de l’étude “Renforcer la stabilité: en luttant contre les risques liés au changement climatique et à la fragilité dans la région du lac Tchad.”. Elles ont été prises par le photographe lauréat Arno Trümper qui a accompagné l’équipe du projet au cours de ses recherches au Niger, au Nigeria et au Tchad entre octobre 2018 et avril 2019.

Risque lié au climat et à la fragilité : les dynamiques du climat et du conflit déstabilisent les modes de vie

Un garçon vend des haricots sur un marché proche de Bosso dans la région de Diffa, Niger. (©Arno Trümper/adelphi)

Prise au piège dans un conflit, la région du lac Tchad était auparavant un carrefour commercial animé. Mais des années de conflit, de misère, de mauvaise gouvernance, et de violations incessantes des droits humains par les gouvernements et les insurgés ont détérioré les liens familiaux et générationnels, ainsi que les rapports entre groupes ethniques, personnes déplacées et communautés d’accueil. Les habitants de la région sont confrontés à un double problème. D’une part, le changement climatique aggrave les conditions politiques et économiques qui ont, dans un premier temps, fait émerger la violence. D’autre part, depuis 2009, le conflit les empêche de poursuivre leurs activités de subsistance passées et affecte leur capacité d’adaptation.

Risque lié au climat et à la fragilité : les déplacements

Un marchand propose ses produits sur un marché de la région de Diffa, Niger. (©Arno Trümper/adelphi)

La région du lac Tchad accueille plus de 2,4 millions de personnes déplacées. Dans les zones où se concentrent un grand nombre de personnes déplacées et de réfugiés, les relations sont tendues, car les communautés d’accueil se sentent lésées vis-à-vis des réfugiés qu’elles perçoivent comme bénéficiaires d’une aide humanitaire plus importante. Certes, de nombreuses agences humanitaires distribuent de la nourriture aux camps de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays (PDI) et de réfugiés, mais peu d’entre elles fournissent le combustible nécessaire pour préparer à manger. Les personnes déplacées sont ainsi amenées à couper du bois. Elles sont bien conscientes des effets négatifs de la déforestation sur la fertilité des sols et de la perte de protection contre les tempêtes de sable, mais elles manquent d’alternatives pour se préparer à manger. Aussi, la recherche de bois à brûler représente un défi sécuritaire, car ce sont surtout des femmes et des enfants qui sont chargés de se rendre au-delà des zones habitées pour en trouver. Sur ces longs trajets, ils risquent d’être attaqués, kidnappés, violés ou tués.

Risque lié au climat et à la fragilité : la rupture de la cohésion sociale

Une famille attend l’aide alimentaire dans un camp de PDI à Diffa, Niger (©Arno Trümper/adelphi)

Les conséquences du changement climatique et le conflit ont sapé la cohésion sociale, ce qui rend les individus plus vulnérables aux chocs. La violence a ébranlé les relations entre les familles, les générations, et les travailleurs, en exacerbant notamment les conflits liés aux ressources naturelles : les droits fonciers et l’accès aux ressources sont de plus en plus sous pression en raison de l’afflux de personnes déplacées, de l’accès restreint aux terres et du changement climatique. La confiance entre le gouvernement et les communautés locales a également faibli dans certains pays du lac Tchad suite aux révélations sur des faits de violations des droits humains commis par les forces de sécurité.

Risque lié au climat et à la fragilité : conflits autour des ressources naturelles

Une femme inspecte sa culture de légumes près de Bol, Tchad (©Arno Trümper/adelphi)

Avant, les litiges relatifs aux ressources naturelles comme les sols et l’eau étaient résolus au niveau personnel, souvent avec l’aide des leaders communautaires. Mais les mécanismes de gouvernance communautaire ont cessé de fonctionner durant le conflit. Les leaders communautaires se sont peut-être politisés, ont été tués, ont quitté la communauté ou perdu sa confiance. Ils ont pu également se retrouver démunis face au nombre de personnes ayant intégré la communauté.

Risque lié au climat et à la fragilité : le recrutement et le maintien des recrues dans les groupes d’opposition armés

Des hommes rassemblés pour une réunion de village près de Bol, Tchad (©Arno Trümper/adelphi)

Les recruteurs des groupes d’opposition armés ont pu tirer profit du manque de protection sociale dans l’ensemble des quatre pays du lac Tchad. Ces groupes comblent un manque en offrant des services qui ne sont pas assurés par les gouvernements, tels que l’éducation religieuse, la santé, l’alimentation et l’accès à des sources de financement. Certaines recrues quittent les groupes d’opposition armés puis y retournent. Cette tendance est à la hausse. Elle est souvent due à l’offre, au sein des groupes armés, de meilleures opportunités économiques qui font défaut sous forme d’emplois ailleurs. Les recrues estiment parfois mener une vie plus digne dans la forêt que dans un camp, où elles sont dépendantes des organisations humanitaires pour se nourrir.

Risque lié au climat et à la fragilité : des réactions militaires autoritaires

Un agent de sécurité armé veille sur le séchage du poisson près du lac à Baga Sola, Tchad (©Arno Trümper/adelphi)

Les forces militaires ont obtenu un certain succès en instaurant une paix relative dans la région, mais leur approche, fortement militarisée, manque souvent de sensibilité vis-à-vis des modes de vie et des stratégies utilisées par les populations locales pour faire face au changement climatique. Les forces de sécurité ont notamment fermé des marchés, bloqué le commerce et les passages transfrontaliers, interdit des moyens de subsistance comme la pêche dans certaines régions et limité le déplacement de produits comme les engrais. Ces restrictions ont gravement compromis les moyens de subsistance de nombreuses personnes qui ne peuvent plus rejoindre de nouveaux sols fertiles pour y pratiquer l’agriculture, l’élevage ou la pêche. Ainsi, des stratégies essentielles d’adaptation au changement climatique nécessitant mobilité et diversification des moyens de subsistance leur sont refusées.

1. Premières mesures : Construire la cohésion sociale

Des femmes décortiquent du maïs à Baga Sola, Tchad (©Arno Trümper/adelphi)

La cohésion sociale est un élément déterminant à la constitution d’une résilience dans la région du lac Tchad. Pour y parvenir, il faut entre autres établir une relation de confiance et d’échanges entre les individus, les groupes et les communautés telles que les personnes déplacées dans leur pays, les réfugiés et les populations locales. Il faut également s’efforcer d’établir un contrat social entre l’État et la communauté locale et mettre en œuvre des activités soutenant la capacité institutionnelle des gouvernements locaux et nationaux.
Enfin, pour résoudre une crise axée sur la population, il faut se concentrer sur la population même. Plus spécifiquement, il faudrait des mécanismes garantissant l’accès à la justice et le dialogue entre personnes déplacées ou réfugiées abritées dans des camps et populations locales, entre anciens combattants et autres communautés, ainsi qu’entre générations. Sécuriser le droit foncier contribuerait directement à la consolidation de la paix et à la cohésion sociale, mais ces politiques doivent tenir compte des problèmes liés à la fois au climat et au conflit.

2. Premières mesures : encourager les moyens de subsistance résilients

Des enfants dans une meunerie (©Arno Trümper/adelphi)

Le manque d’emplois et d’argent est un lourd fardeau pour la résilience d’une population jeune, en augmentation croissante, dans une région où règnent le chômage endémique et le sous-emploi. C’est aussi un risque, car ces jeunes gens sans emploi, marginalisés et découragés sont des recrues faciles pour les groupes d’opposition armés. Face à une génération habituée à l’exclusion, consciente de son altérité ancrée au fil du temps, il faut absolument que les efforts entrepris pour restaurer ses moyens de subsistance confortent aussi un sens de la propriété, un sentiment d’inclusion et de valeur. L’aptitude des personnes à dépendre d’un pastoralisme improductif et de l’agriculture est fragilisée par la dégradation des sols, des chaînes de valeur faibles, des infrastructures physiques et financières inadaptées, et une capacité entrepreneuriale réduite. Ainsi, des moyens de subsistance à l’épreuve du changement climatique et non basés sur l’agriculture prennent une importance cruciale.

3. Premières mesures : élargir l’offre et l’accès aux services

Une enseignante et un directeur durant la pause de midi dans une école de la région de Diffa, Niger. (©Arno Trümper/adelphi)

Dans les camps d’aide humanitaire, beaucoup profitent pour la première fois de services sociaux comme l’éducation, la santé, l’eau, l’assainissement et l’énergie. L’accès à ces services est essentiel non seulement pour briser la dépendance vis-à-vis de l’aide humanitaire et pour assister les communautés à résister aux crises, mais aussi pour établir un contrat social entre l’État et les citoyens.

4. Premières mesures : combattre les inégalités sexospécifiques et les violations des droits humains

Une éleveuse de bétail à Diffa, Niger (©Arno Trümper/adelphi)

Les inégalités sexospécifiques et les violations de droits humains représentent des défis essentiels dans la région du lac Tchad.
Les droits fonciers sont souvent refusés aux femmes ; leur faciliter l’accès à la propriété et à d’autres moyens de productions devrait être un facteur important au développement et à l’effort de paix. Les ressources fournies par le lac peuvent les aider à maintenir leurs moyens d’existence. Par exemple, des groupes de femmes préparent et vendent avec succès des produits à base de spiruline, une algue nutritive que l’on trouve couramment dans le lac Tchad. Ces activités ont un fort potentiel de développement.

5. Premières mesures : s’adapter au changement climatique et mieux gérer les ressources naturelles

Un homme travaille dans un champ de piments près de Bosso, dans la région de Diffa, Niger. (©Arno Trümper/adelphi)

Les risques croissants du changement climatique peuvent pérenniser les cycles de violence et ruiner tout espoir de stabilité. Toutes les initiatives prises dans le but de s’adapter au changement climatique, d’améliorer la résilience aux chocs climatiques et de mieux gérer les ressources naturelles, soutiennent l’effort de paix. Par exemple, les conséquences de la déforestation sur le climat et la sécurité sont déjà visibles : dégradation des sols, perte d’abris pour le bétail, plus longs déplacements des femmes à la recherche de bois dans des zones à risques. Le reboisement permet de renforcer la résilience climatique et de réduire les tensions entre communautés.

6. Premières mesures : Utiliser les technologies de l’information et de la communication

Un chauffeur de taxi attend ses clients, une nuit à Niamey, Niger. (©Arno Trümper/adelphi)

Les technologies de l‘information et de la communication (TIC) fournissant aux agriculteurs, aux éleveurs et aux pêcheurs des données sur les marchés et les prix auraient un rôle préventif. Mieux préparés aux chocs climatiques, ils profiteraient d’une autonomie économique et d’une aide pour leur choix d’avenir. Par exemple, la distribution de téléphones mobiles permettrait aux utilisateurs de partager des informations météorologiques via SMS, ce qui pourrait aider les agriculteurs à planter la bonne culture au bon moment. Cependant, certaines conditions telles que la connectivité au réseau et l’accès aux TIC à tous les niveaux de la société doivent être assurées pour profiter de cet avantage et éviter de créer de nouvelles inégalités.

7. Premières mesures : disposer de meilleures informations climatiques et hydrologiques

Un pêcheur sur le lac à l’aube, Baga Sola, Tchad (©Arno Trümper/adelphi)

L’accès à des données scientifiques précises est essentielle à la prise de décisions politiques efficaces. Réaliser correctement cette mesure permettrait d’établir des relations entre le peuple et le gouvernement. Si de meilleures informations sont pertinentes pour les responsables politiques, elles sont aussi un important moteur de résilience pour les membres de la communauté, surtout pour ceux dont les moyens de subsistance dépendent du climat. Une des mesures spécifiques serait par exemple la diffusion de prévisions météorologiques par le biais de la radio. Cela permettrait d’avertir la population à temps pour le semis et la récolte des cultures.

8. Premières mesures : investir dans le développement institutionnel et la gouvernance

Un leader communautaire tient une réunion pour conseiller la population à Bosso, dans la région de Diffa au Niger, confrontée à des moyens de subsistance limités. (©Arno Trümper/adelphi)

La mauvaise gouvernance a été l’un des moteurs principaux du conflit. Il faut soutenir le renforcement de la gouvernance afin de fournir des services sociaux de qualité, lutter contre la corruption, et investir dans le développement de la gouvernance au niveau local. Le développement d’institutions permet de s’ouvrir au problème climatique. Par exemple, des processus de planification locale peuvent aider à mieux résoudre les tensions entourant la répartition de terres pour le logement, l’agriculture ou l’élevage, et tenir compte des changements démographiques. En intégrant dans les processus de planification des évaluations sur le climat avec une analyse de la dynamique entretenue par le conflit, les sexospécificités, et l’exclusion sociale, on peut obtenir un système d’alerte précoce pour les zones les plus menacées par le changement climatique.

9. Premières mesures : réviser les tactiques utilisées pour combattre les groupes d’opposition armés et les adapter

Des agents de sécurité armés traversent le lac près de Baga Sola, Tchad (©Arno Trümper/adelphi)

La faiblesse de la gouvernance a été l’un des moteurs principaux du conflit. Il faut soutenir le renforcement de la gouvernance afin de fournir des services sociaux de qualité, lutter contre la corruption, et investir dans le développement de la gouvernance au niveau local.
Le développement d’institutions permet de s’ouvrir au problème climatique. Par exemple, des processus de planification locale peuvent aider à mieux résoudre les tensions entourant la répartition de terres pour le logement, l’agriculture ou l’élevage, et tenir compte des changements démographiques. En intégrant dans les processus de planification des évaluations sur le climat avec une analyse de la dynamique entretenue par le conflit, les sexospécificités, et l’exclusion sociale, on peut obtenir un système d’alerte précoce pour les zones les plus menacées par le changement climatique. Jusqu’à présent, les gouvernements ont surtout eu recours à des réponses militarisées pour lutter contre la violence dans la région. Dans l’ensemble, ces mesures ne sont parvenues ni à maîtriser les groupes d’opposition ni à faire revenir la paix, et les communautés autour du lac continuent de souffrir. Il faut que les différents gouvernements revoient et modifient leurs tactiques, afin de concevoir comment affronter les groupes d’opposition armés sans affecter davantage la cohésion sociale et les moyens de subsistance. Il faut s’efforcer davantage de reconquérir ‘les cœurs et les esprits’ des communautés concernées par le biais de mesures qui encouragent, par exemple, une meilleure fourniture de services, un accès sûr et équitable aux ressources naturelles et à la justice.

10. Premières mesures : assurer une croissance économique à l’épreuve du climat

Un bateau-taxi transporte des personnes et des biens sur le lac près de Baga Sola, Tchad (©Arno Trümper/adelphi)

La stabilité dans la région du lac Tchad dépend de l’instauration de conditions propices à une croissance qui serait à l’épreuve du climat. Pour y parvenir, il faudrait notamment encourager la création d’emplois moins vulnérables à une météorologie imprévisible et porteurs de cohésion sociale en faisant appel à différents groupes ethniques ou professionnels. Ainsi, la planification de moyens d’existence doit être basée sur des données climatiques très précises et une analyse du conflit qui inclut une étude des sexospécificités et de l’exclusion sociale. Cela nécessite également le rétablissement des marchés et la sécurité des déplacements transfrontaliers.

L’objectif : un lac Tchad résilient

Des hommes transportent des personnes et des biens en pirogue sur le fleuve Niger près de Niamey, Niger. (©Arno Trümper/adelphi)

Auparavant carrefour économique florissant, le lac Tchad était aussi le grenier à blé de la région. La population, les biens et le bétail se déplaçaient librement au-delà des frontières nationales et sur les marchés des réseaux commerciaux informels de quatre pays. Si la paix revient et que le lac est géré soigneusement par les quatre pays qui se le partagent, il pourrait redevenir le moteur de moyens de subsistance et de stabilité durables dans la région, renforcer la sécurité alimentaire et réduire la pauvreté.